Voici une page un peu spéciale...
Vous allez y trouver (ou retrouver) des textes poétiques amusants, pas très connus, mais qui valent le détour!
Bonne lecture!!!
Avenue du Maine
Les manèges déménagent.
Manèges, ménageries, où ? . . . et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis . . . ah ! il y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n’ai plus . . . que n’ai-je ? . . .
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton ménage mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton ménage
Manège ton manège.
Manège ton ménage.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.
Max Jacob (1876-1944)
Chanson dada (1923)
la chanson d'un dadaïste
qui avait dada au coeur
fatiguait trop son moteur
qui avait dada au coeur
l'ascenseur portait un roi
lourd fragile autonome
il coupa son grand bras droit
l'envoya au pape à rome
c'est pourquoi
l'ascenseur
n'avait plus dada au coeur
mangez du chocolat
lavez votre cerveau
dada
dada
buvez de l'eau
II
la chanson d'un dadaïste
qui n'était ni gai ni triste
et aimait une bicycliste
qui n'était ni gaie ni triste
mais l'époux le jour de l'an
savait tout et dans une crise
envoya au vatican
leurs deux corps en trois valises
ni amant
ni cycliste
n'étaient plus ni gais ni tristes
mangez de bons cerveaux
lavez votre soldat
dada
dada
buvez de l'eau
III
la chanson d'un bicycliste
qui était dada de coeur
qui était donc dadaïste
comme tous les dadas de coeur
un serpent portait des gants
il ferma vite la soupape
mit des gants en peau d'serpent
et vient embrasser le pape
c'est touchant
ventre en fleur
n'avait plus dada au coeur
buvez du lait d'oiseaux
lavez vos chocolats
dada
dada
mangez du veau
Tristan Tzara
Chez moi
Chez moi,dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
Quand papa le peint en blanc.
Chez moi,dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.
Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or,
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.
Chez moi, dit le petit garçon
Nous avons une soupière
Qui vient tout droit de Soissons
Quand Clovis était notaire.
Chez moi, dit la petite fille
Ma grand-mère a cent mille ans.
Elle joue aux billes
Tout en se curant les dents.
Chez moi, dit le petit garçon
Mon grand-père a une barbe
Pleine pleine de pinsons
Qui empeste la rhubarbe.
Chez moi, dit la petite fille
Il y a trois cheminées
Et lorsque le feu pétille
On a chaud de trois côtés.
Chez moi, dit le petit garçon
Passe un train tous les minuits.
Au réveil mon caleçon
Est tout barbouillé de suie.
…Chez moi, dit le petit garçon
Vit un empereur chinois
Il dort sur le paillasson
Aussi bien qu’un Iroquois.
Iroquois ! dit la petite fille !
Tu veux te moquer de moi !
Si je trouve une aiguille
Je vais te piquer le doigt !
Ce que c’est d’être une fille !
Répond le petit garçon.
Tu es bête comme une anguille
Bête comme un saucisson.
C’est moi qu’ai pris la bastille
Quand t’étais dans les oignons.
Mais à une telle quille
Je n’en dirai pas plus long.
René de Obaldia
Le Capitaine Jonathan,
Etant âgé de dix-huit ans
Capture un jour un pélican
Dans une île d'Extrême-orient.
Le pélican de Jonathan
Au matin, pond un oeuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un oeuf tout blanc
D'où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.
Robert Desnos
Quand j'aurais du vent dans mon crâne
Quand j'aurai du vent dans mon crâne
Quand j'aurai du vert sur mes osses
P'tet qu'on croira que je ricane
Mais ça sera une impression fosse
Car il me manquera
Mon élément plastique
Plastique tique tique
Qu'auront bouffé les rats
Ma paire de bidules
Mes mollets mes rotules
Mes cuisses et mon cule
Sur quoi je m'asseyois
Mes cheveux mes fistules
Mes jolis yeux cérules
Mes couvre-mandibules
Dont je vous pourléchois
Mon nez considérable
Mon coeur mon foie mon râble
Tous ces riens admirables
Qui m'ont fait apprécier
Des ducs et des duchesses
Des papes des papesses
Des abbés des ânesses
Et des gens du métier
Et puis je n'aurai plus
Ce phosphore un peu mou
Cerveau qui me servit
A me prévoir sans vie
Les osses tout verts, le crâne venteux
Ah comme j'ai mal de devenir vieux.
Boris Vian
UN CERTAIN MONSIEUR PLUME
Etendant les mains hors du lit, Plume fut étonné de ne pas rencontrer le mur : « Tiens, pensa-t-il, les fourmis l’auront mangé… » et il se rendormit. Peu après, sa femme l’attrapa et le secoua : « Regarde, dit-elle, fainéant ! Pendant que tu étais occupé à dormir, on nous a volé notre maison. » En effet, un ciel intact s’étendait de tous côtés. « Bah, la chose est faite », pensa-t-il. Peu après, un bruit de fit entendre. C’était un train qui arrivait sur eux à toute allure. « De l’air pressé qu’il a, pensa-t-il, il arrivera sûrement avant nous » et il se rendormit. Ensuite, le froid le réveilla. Il était tout trempé de sang. Quelques morceaux de sa femme gisaient près de lui. « Avec le sang, pensa-t-il, surgissent toujours quantité de désagréments ; si ce train pouvait n’être pas passé, j’en serais fort heureux. Mais puisqu’il est déjà passé… » et il se rendormit. - Voyons, disait le juge, comment expliquez-vous que votre femme se soit blessée au point qu’on l’ait trouvée partagée en huit morceaux, sans que vous, qui étiez à côté, ayez pu faire un geste pour l’en empêcher, sans même vous en être aperçu. Voilà le mystère. Toute l’affaire est là-dedans. - Sur ce chemin, je ne peux pas l’aider, pensa Plume, et il se rendormit. - L’exécution aura lieu demain. Accusé, avez-vous quelque chose à ajouter ? - Excusez-moi, dit-il, je n’ai pas suivi l’affaire. Et il se rendormit.
Henri Michaux
Le mot et la chose (Abbé de Latteignant)
1
Madame, quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose ?
On vous a souvent dit le mot,
On vous a souvent fait la chose.
Ainsi, de la chose et du mot
Pouvez-vous dire quelque chose
Et le gagerai que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose !
2
Pour moi, voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose :
J'avouerai que j'aime le mot,
J'avouerai que j'aime la chose
Mais, c'est la chose avec le mot
Et c'est le mot avec la chose ;
Autrement, la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose.
3
Je crois même, en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose
Un chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose
C'est qu'on peut dire encor le mot
Alors qu'on ne peut plus la chose ...
Et, si peu que vaille le mot,
Enfin, c'est toujours quelque chose.
4
De là, je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose
Que l'on doit n'ajouter un mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose
Et que, pour le temps où le mot
Viendra seul, hélas, sans la chose
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose !
5
Pour vous, je crois qu'avec le mot
Vous voyez toujours autre chose
Vous dites si gaiement le mot,
Vous méritez si bien la chose,
Que, pour vous, la chose et le mot
Doivent être la même chose ...
Et, vous n'avez pas dit le mot,
Qu'on est déjà prêt à la chose.
6
Mais, quand je vous dit que le mot
Vaut pour moi bien plus que la chose,
Vous devez me croire, à ce mot,
Bien que peu connaisseur en la chose !
Eh bien, voici mon dernier mot
Et sur le mot et sur la chose
Madame, passez-moi le mot ...
Et je passerai la chose !
L'éloge de la fatigue
Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui je suis fatigué, Monsieur, et je m'en flatte.
J'ai tout de fatigué, la voix, le coeur, la rate,
Je m'endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas.
Ou quand je m'en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n'est qu'une vantardise.
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?
Je ne vous parle pas des sombres lassitudes,
Qu'on a lorsque le corps harassé d'habitude,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons...
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon...
Lorsqu'on a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre...
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ;
Elle fait le front lourd, l'oeil morne, le dos rond.
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond...
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain,
Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le coeur...
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur.
Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu'on est le port et la route et le quai,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque victoire, en creux, sur leur figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d'autres creux il passe inaperçu.
La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste,
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes.
C'est le prix d'un labeur, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie,
C'est la preuve, Monsieur, qu'on marche avec la vie.
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute mes sommeils, et je me sens fort.
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance
Et ma fatigue, alors, c'est une récompense.
Et vous me conseillez d'aller me reposer !
Mais si j'acceptais là, ce que vous me proposez,
Si j'abandonnais à votre douce intrigue...
Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue.
Robert Lamoureux
Sois feignant
A toi l’enfant qui vient de naître,
Je dois dire pour être honnête
Que ce n’est pas en travaillant
Qu’on trouve le bonheur sur Terre.
J’en veux l’exemple de mon père
Qui vit le jour d’son enterrement
Qu’il était l’plus riche du cimetière.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras longtemps.
Plutôt que d’apprendre à l’école,
Baise et collectionne les véroles :
La médecine fait quelques progrès.
On dit qu’à gagner du bagage,
Tu n’aboutirais qu’au chômage
Où déjà se sont entassés
Ceux qu’ont cru en la société.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras longtemps.
Moins tu en fais, plus tu l’espères,
Plus ta santé déjà précaire
Te libère de ces tourments.
Gagner ta vie ne vaut pas l’coup,
Attendu que tu l’as déjà.
Le boulot, y’en a pas beaucoup,
Faut le laisser à ceux qu’aiment ça.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras longtemps.
Si jamais tu voles un copain,
Tu en auras moins de chagrin
Que si tu n’as pas à manger.
Et si t’as la main sur le cœur,
N’hésite pas à la couper.
Tu entendras moins les moqueurs
Si c’est toi qui les as roulés.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras longtemps.
Si jamais tu voles un couillon
Qui t’envoie tout droit en prison,
Dis-toi qu’il est plus mal logé.
Car pour te payer ta pitance,
Tandis que tu f’ras pénitence,
Lui, qu’est si fier de t’enfermer,
Faudra encore qu’il aille bosser.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras longtemps.
Voilà, c’était mon héritage.
Comm’ tu vois, j’ai fait mes bagages.
Je te laisse avec ta môman.
Tu perds rien, j’ai pas l’gros lot,
Et tant pis pour toi si je triche :
Tu s’ras pt’êt’ un enfant d’salaud
Mais… Tu s’ras pas un goss’ de riche !
Sois feignant, sois feignant.
Tu vivras content.
Sois feignant, mon enfant…
L’avenir t’attend.
Coluche (1974)
Le fou de la reine
J'aime la rime sans raison,
C'est une drogue, un poison,
Non, je ne suis pas poète,
J' suis pouètpouèt
Mes vers ne savent pas nager
Dans les grands fonds ... pas de danger,
Là où j'ai pieds je fais trempette,
J' suis pouètpouèt
En ballade à cloche-pieds
Au royaume de papier,
Je fais tinter mes sornettes,
J' suis pouètpouèt
Touche à tout, mais touche à rien,
C'est vrai que ça sonne bien ...
Je mérite l'étiquette,
J' suis pouètpouèt
Muse, reine des sujets,
Vous êtes le seul objet
De mes petites bluettes,
J' suis pouètpouèt
Le fou du roi est un fou,
Qui passe à côté de vous,
Sans même tourner la tête,
Pas pouètpouèt *
Le fou du roi, je m'en fous
Puisque je suis fou de vous,
Je le chante à tue-tête,
J' suis pouètpouèt
On me conduit au gibet
Pour me faire exécuter
Ma dernière pirouette,
J' suis pouètpouèt
Vous allez être déçue,
Je ne serai pas pendu :
J'ai déjà perdu la tête,
J' suis pouètpouèt
Quand vous vous serez lassée
De mes propos insensés,
Jetez-moi aux oubliettes,
J' suis pouètpouèt
J'aime la rime sans raison
C'est une drogue, un poison,
J'en ai pris jusqu'à perpette
J' suis pouètpouèt
Antoine Bial. ("Pouètpouèt")
Si vous connaissez d'autres textes comme ceux-là, n'hésitez pas à les envoyer!
Commentaires
1 ggg Le 15/02/2012
2 oph Le 11/05/2017